Quelle ironie. Une femme, comme elle, traînant dans une église. De par sa nature même, il était improbable qu’on ne la trouve dans un lieu saint comme celui-ci. Or, l’Église de la Violence n’avait de saint que la première partie de son appellation. Ces pseudos représentants de la bonne parole et porteurs de la Bonne Nouvelle abusaient allègrement de leur statut pour tirer un maximum de profit de la population. Après tout, la Sainte Église avait besoin de dons, quels qu’ils soient, en échange desquels ils concédaient leur bénédiction divine. Primerose n’en faisait pas exception. Elle avait déjà des ennuis récurrents avec les Red Skulls depuis les premières altercations où elle avait tenu tête à leur proposition de proxénétisme, il était hors de question qu’elle se mette à dos les autres cartels de Roanapur en prime. Elle tenait à sa tête, tout de même. Bouille qu’elle avait fort jolie d’ailleurs, laquelle lui était très utile.

Ainsi, elle avait été approchée par le clergé récemment, alors que ses représentants tentaient de propager la bonne nouvelle à travers les âmes damnées du Sins District. Elle s’était trouvée au mauvais endroit, au mauvais moment, tout simplement. On lui avait demandé de faire don régulièrement à la Sainte Église de la Violence ou le châtiment divin allait s’abattre sur elle. Meh… comme si elle avait besoin de ça en plus. Elle refusait d’être sous le joug de quelconque proxénète, c’était bien connu, alors il était hors de question qu’elle fasse « don » de ses gains durement acquis. Une entente fut rapidement scellée : il lui suffisait de se rendre au confessionnal, tous les jeudis soirs pour se faire pardonner de ses péchés, après quoi, on la laisserait tranquille. Après tout, toute forme de don était appréciée par le clergé. Si d’emblée ça l’énervait de devoir se soumettre à cette volonté, Primerose en vint rapidement à l’acception. Au final, c’était une demi-heure de son temps qu’on lui demandait chaque semaine, si ce n’était pas moins. La plupart des membres du clergé avaient si peu d’endurance…

Agenouillée dans le confessionnal, la belle se redressait lentement, essuyant la commissure de ses lèvres alors que le curé Wilson, sourire niais au visage, remontait la braguette de son pantalon, sous sa soutane. Celui-là était fébrile comme un adolescent prépubère et était rapide sur la gâchette… C’était parfait ainsi, elle perdait moins son temps. Inutile de préciser qu’elle n’avait jamais tenté, une seule fois, de se repentir de ses péchés. Elle venait à l’église, attendait qu’on l’approche, recevait la grâce divine (souvent sous forme de fellation, pour dire vrai) et quittait. Exactement comme ce soir.

Le curé Wilson se redressa de toute sa hauteur, glissa une main dans le décolleté en forme de cœur de la robe cigarette de couleur verte de la belle, puis palpa la marchandise sans que la principale intéressée n’oppose la moindre résistance. Évidemment qu’elle remarqua que la main gauche du bonhomme s’était à nouveau glissée sous sa soutane… Visiblement, il était encore inspiré. Ce petit manège dura quelques instants, puis l’homme effectua son signe de croix, bénissant la démone (douce ironie) au passage. Expression blasée au visage, Bell agita sa main gantée en l’air comme si elle tentait de chasser une mouche indésirable… puis on toqua à la porte secondaire de la Sainte Église. Interloqué, le duo avisa l’endroit d’où venaient les coups, puis la prostituée ramena son attention vers Wilson.

- Allez ouvrir mon enfant, j’ai quelque chose à terminer, j’en aurai pour quelques minutes… Rétorqua le curé, son souffle laissant sous-entendre ses intentions.

Levant les yeux au ciel d’un air exaspéré, la rouquine s’avança vers la porte close de sa démarche féline, puis ouvrit… Pour finalement fixer d’un air estomaqué Kallatriel Skelling qui se tenait devant elle, paquet en mains. Visiblement, il était nerveux et déblatéra des propos (dans un accent british qui, d’emblée, était charmant) qui eurent pour effet de la surprendre encore davantage. Visiblement, il était venu pour elle… C-Comment avait-il su qu’elle se trouvait ici? Étant loin d’être fière de son arrangement avec l’Église de la Violence, la belle avait gardé l’information pour elle. Jetant un regard à gauche et à droite, comme si elle s’attendait à voir d’autres gens rappliquer, la prostituée laissa entrer l’homme à l’allure déglinguée, lequel lui tendit un paquet tout à fait charmant, emballé avec bon goût.

- Merci? Fit-elle, encore sous la surprise alors qu’elle pouvait voir le contenu de la boîte…

Oh. Bon. Sang. Ces escarpins! Ceux-là mêmes qu’elle convoitait depuis des semaines! Ces somptueux, merveilleux, très laqués et très chics escarpins Louboutin. Oh, elle avait eu l’impression d’avoir les genoux mous, pendant un bref instant. Ces beautés d’un magnifique rouge avaient de quoi charmer n’importe quelle femme.

- Oh, ils sont si parfaits! Souffla-t-elle en ouvrant la boîte tout en se saisissant de cette chaussure si luxueuse. L’envie de les essayer, là, maintenant, se faisait ressentir, mais elle ne devait pas oublier l’endroit où elle se trouvait. Ce lieu aussi saint qu’un tas de fumier ne lui donnait que l’horripilante envie de courir… activité fort peu appropriée pour des chaussures de cette qualité. Comme c’est gentil de ta part, mon chou! Continua-t-elle, très heureuse de ce présent et lui faisant la bise. Mais dis-moi, comment tu as su où je me trouvais?

Un toussotement un peu gras se fit entendre, plus loin, suivi de bruits de pas. Le curé Wilson revenait. Zut, elle n’avait pas envie de rester en sa présence plus longtemps! Crispée, elle glissa son bras libre autour de celui de son client régulier, l’invitant sans grande subtilité à se diriger vers la porte qui la libérerait de cet endroit.

- Tu sais quoi? J’allais quitter justement… J’ai soif, nous pourrions prendre un verre… un truc bien alcoolisé, de préférence... Fit-elle avec un sourire doucereux, sachant pertinemment que le curé approchait. Après tout, je me dois de te remercier adéquatement pour ce somptueux présent…

Il était hors de question qu’elle ne reste une minute de plus dans cette église qui puait la corruption (et en matière de corruption, elle s’y connaissait un brin!). Non seulement il n’y avait carrément rien de sain saint en ces lieux, mais elle craignait également que le curé n’en devienne plus insistant pour pousser la confession un peu plus loin... bien bien loin en fait. Il y avait quand même une limite à l’étendue de sa bonté et de son envie de faire du bénévolat! Ainsi, c’est sans grande surprise que la rouquine glissa sa main autour du bras de son client régulier, attirant ce dernier de manière doucereuse en direction de la sortie. Du coin de l’œil, elle pouvait voir le curé lever une main pour lui faire signe, mais la démone fit comme si de rien n’était et entraîna son compagnon du moment à l’extérieur, loin des mains sordides de cet « homme de foi ». Tenant toujours son précieux paquet de la main gauche, la jolie femme marchait, côte à côte avec son compagnon, de sa démarche féline au déhanchement naturel.

Ils se dirigeaient vers le Sins Distict, elle le savait. Elle connaissait cet endroit par cœur, au point où elle aurait pu s’y diriger les yeux fermés. Si d’emblée elle avait quelques suggestions pour son compagnon quant à un endroit agréable où consommer quelques verres, elle fut obligée d’admettre que ce dernier avait assurément une idée bien précise en tête. Louvoyant dans les ruelles, allées et rues du district chaud, le duo progressa en silence pendant un long moment jusqu’à atteindre les beaux quartiers, plus à l’est de la ville. N'auraient-ils pas mieux fait de prendre un taxi? Il fallait dire que ces escarpins qu’elle avait aux pieds n’étaient pas conçus pour marcher de longue distance... Mais bon, elle avait suffisamment de classe pour ne pas se plaindre et encaisser le tout comme une grande.

Même si le silence régnait en maître entre eux, Prim n’aurait pas pu dire que cette balade était désagréable en soi (enfin, malgré la douleur à ses pieds, bien évidemment). Le ciel brillait d’étoiles malgré la pollution visuelle de la ville, la température était clémente et, malgré tout, la présence de Kallatriel était rassurante, dissuadant momentanément les truands de vouloir s’en prendre à elle. Prim n’était toutefois pas dupe : elle savait qu’un truc se tramait avec ce dernier. Il n’était pas humain, elle pouvait le ressentir jusqu’au fond de ses tripes. Elle l’avait su dès le premier regard posé sur lui. Après... à savoir à quel camp il appartenait, elle n’en avait pas la moindre idée. Chose certaine, cet homme au bras de qui elle était perchée avait cette aura à la fois douce, impressionnante et plus imposante que la moyenne des êtres humains. Elle le ressentait jusque dans ses fibres : ce simple fait ne mentait assurément pas. Après, il était hors de question qu’elle l’interroge à ce sujet! Non seulement se vautrait-elle parfaitement bien dans le déni, mais elle considérait que cette curiosité mal placée était aussi disgracieuse que de demander l’âge véritable d’une femme.

Son regard émeraude caressa la surface des bâtiments beaucoup plus beaux que ce qu’elle avait l’habitude de voir. Les beaux quartiers n’avaient rien à voir avec le Sins District ou même la South Zone! Loin de là! Ici, les gens n’avaient rien à faire de l’existence des miséreux. Ici, on vivement richement, buvait du bon vin et mangeait des plats raffinés. Ici, les gens ne pissaient pas dans la rue ni ne criaient des insanités à qui voulaient bien les entendre. Un jour, elle allait vivre ici, parce que ici, c’était bien! Il ne lui suffisait que d’épouser un vieux croûton riche, sans héritier et bien malade et le tour était joué! Voilà un beau petit projet, pour le futur! Du moins, le croyait-elle!

Le fil de ses pensées fut lamentablement interrompu par son estomac qui grondait bruyamment. Et merde. Ce glougloutement parfaitement audible, la prostituée en était carrément gênée. Son regard croisant celui de son client régulier, la jeune femme balaya l’air de la main, comme si son propre inconfort ne valait pas la peine qu’on s’y attarde.

- Ne t’en fait pas mon chou, je n’ai simplement pas pris le temps de manger, fit-elle d’un ton banal, recherchant visiblement un bar où s’installer pour profiter un peu de cette soirée magnifique. Pour dire vrai, j’ai davantage soif que faim. Et puis, jeûner un brin ne fera que du bien à ma taille! J’ai pris du poids récemment, ce qui est inacceptable pour une femme comme moi!

Gratifiant son compagnon d’un clin d’œil bien placé, la belle marcha un peu plus vite, prenant les devants et ignorant la douleur causée par ses escarpins. Bifurquant vers la droite, elle sélectionna un établissement à la décoration rappelant un Pub anglais plutôt typique : ce dernier était connu sous le nom de London Lion.


L’endroit était chaleureux et les rires fusaient. Pourquoi avait-elle sélectionné cet endroit plutôt qu’un bar lounge contemporain? Simplement parce qu’il convenait davantage à un homme comme Kallatriel, lequel détonnerait beaucoup trop avec son allure déglinguée dans un établissement où la tenue de soirée était de mise. Attirant systématiquement les regards, Primerose tenait son client par la main, le tirant à sa suite alors qu’elle déambulait sur le plancher de bois verni du Pub anglais. Sélectionnant une table près d’une fenêtre, la belle aurait une vue splendide sur la rue perpendiculaire à l’établissement. Elle déposa son paquet sur le sol, tout près, et s’installa sur une chaise, croisant ses longues jambes dans un mouvement gracieux.

- Alors, ça te convient cet endroit, mon chou? Fit-elle d’une voix doucereuse alors qu’elle ignorait délibérément l’attention qu’elle suscitait chez les convives. C’est la première fois que je viens en ces lieux, mais une copine à moi m’en avait déjà fait l’éloge! Je me suis dit que ça te plairait. J’espère avoir vu juste!

Une jolie serveuse à la chevelure chocolatée et au teint délicieusement hâlé fit son apparition, calepin en main. Primerose commanda un bourbon, elle qui aimait les alcools de qualité.

- Dis-moi... de quelle façon puis-je te remercier adéquatement pour ces somptueux escarpins? Fit-elle, roucoulant presque dans le processus alors que ses doigts gantés caressaient le bras de son vis-à-vis sur toute sa longueur. Tu sais, je peux être très reconnaissante lorsque la situation s’y prête ou lorsque j’en ai envie... Alors tu n’as qu’à me dire ce qui te ferais plaisir... D’autant plus que tu m’as permis de quitter l’église plus rapidement qu’initialement escompté! Crois-moi, tu m’as rendu réellement service sans même le savoir...

Le sourire en coin qu’elle affichait sur ses lèvres carmines voulait tout dire. Certes, l’allure peu soignée de son client la rebutait parfois, sans compter son manque flagrant de goût pour la mode... Toutefois, il était gentil, plus que la moyenne de ses clients pour dire vrai. Oh et son hygiène était carrément plus acceptable que certains hommes qui l’avaient sollicité par le passé! Sans compter que ce cadeau qui lui avait offert avait de quoi lui donner envie de ronronner... Elle se ferait câline, ça, elle savait le faire avec brio. Il ne suffisait que d’un seul encouragement de la part de Kallatriel! D’ailleurs, n’était-ce pas son pied qui venait d’entrer en contact avec la jambe de cet homme à la chevelure blanchie par les années? Oh, elle pourrait s’aventurer bien plus loin, si Kallatriel en émettait la requête... Fort heureusement, les chaises, l’ambiance et l’allure massive de la table de bois devant eux avaient ce chic de couvrir un peu les agissements sans équivoque de la belle.

Au besoin, la salle des toilettes n’était pas bien loin... Une petite passe était si vite arrivée.

Elle jouait du pied avec autant de doigté qu’un violoniste expérimenté. Certes, ce geste langoureux était provocateur et indécent, mais en avait-elle réellement quelque chose à foutre? Elle voulait remercier Kallatriel en bonne et due forme, voilà tout! La démone savait bien que ce dernier appréciait tout particulièrement leurs échanges charnels et elle devait admettre qu’il était plutôt un bon coup. Si d’emblée son allure déglinguée donnait l’impression d’un homme peu soucieux de ses performances, elle devait plutôt admettre qu’il était fort d’une expérience indéniable. La lionne avait envie de jouer. Son sourire en disait long sur la chose et son client n’avait pas besoin de piper le moindre mot pour lui faire comprendre qu’il désirait la culbuter sans ménagement. Non seulement son langage non verbal parlait de lui-même, mais elle devinait coquinement la bosse qui se dressait, de plus en plus assumée dans sa prison de textile. Oh il avait bien tenté une manœuvre pour se soustraire à ces contacts lascifs en reculant sur son siège pour mettre un peu plus de distance entre eux, mais la serveuse vint rapidement les rejoindre, boissons et encas sur son plateau circulaire.

Le bourbon fut déposé devant la magnifique rousse et une bière bien noire fut servie à l’homme cinquantenaire à la chevelure prématurément totalement blanchie. Esquissant un sourire en coin, la catin admira malgré elle le panier de frites qui accompagnait leur consommation, puis s’empara de l’une d’entre elles avant de la porter à sa bouche d’un air presque malicieux. Si d’emblée Kallatriel dut se rapprocher de nouveau d’elle, Primerose ne se fit pas prier pour loger à nouveau son pied là où il faisait le plus d’effet.

Battement de cils. Sourire coquin. Sous-entendus informulés, mais faciles à capter. Elle jouait son jeu favori en ce moment. La présomption d’innocence ne s’appliquait pas dans son cas : Prim était coupable de tous les vices. Visiblement ébranlé par tant de promesses silencieuses, l’homme devant elle prenait de grandes lampées de sa bière, alors qu’elle-même se contentait de simplement tremper ses lèvres dans l’alcool fort préalablement sélectionné. Et que dire de ces frites? Si délicieuses qu’elle eût envie de s’en lécher les doigts! Diantre, c’est exactement ce qu’elle faisait, pas vrai? Elle triturait chacune d’entre elles de manière calculée portant ces dernières à sa bouche en gloussant. Ça va? Il survivait de son côté? Elle le sentait bien à point, au bord du gouffre, là où il ne pourrait plus résister à ses avances.

Si l’on disait que le silence était d’or, leur langage non verbal valait aussi cher que des Bitcoins. Les boissons se suivirent et ce n’est qu’à sa cinquième consommation que Kalla sembla enfin craquer. Il était temps! Elle était sur le point de se faire une tendinite à la cheville à force de jouer du pied depuis tout à l’heure! L’homme à l’allure déglingué se releva au mieux de ses capacités, puis s’excusa, prétextant qu’il avait besoin de s’absenter quelques instants.

- No problem, sweetie, déclara-t-elle de son accent typiquement américain de la côte est. Take all the time you need...

Elle gratifia son ton suave d’un simple clin d’œil, sachant pertinemment qu’il l’attendrait dans la salle de bain, loin du regard des convives. Peut-être était-ce la consommation rapide d’alcool dont il avait fait preuve un peu plus tôt, mais il lui semblait que Kallatriel s’était presque rué vers la porte des toilettes, vibrant d’une impatience indéniable. Oh elle allait le laisser mariner un peu, ne serait-ce que pour donner l’illusion qu’elle n’allait pas FORCÉMENT le rejoindre. Grossier mensonge qui ne dupait personne…

Gloussant, la belle était littéralement amusée de la situation. Elle termina son verre de vin rouge en une rasade, puis réajusta son bustier dans un geste calculateur. Glissant une main dans sa chevelure incendiaire, la démone replaça ses jolies boucles afin de parfaire son apparence qui, avouons-le, frôlait déjà la perfection de toute façon. Dans un mouvement suave, presque félin, elle se redressa de son siège… quand une énergie étrange la percuta de plein fouet. Sourcils froncés, elle jeta instinctivement un regard en direction de la porte principale du bar… et vit quatre types faire leur entrée. Si d’emblée cette vision semblait d’une banalité assommante, Primerose comprit rapidement que ces types étaient tout sauf anodins. En fine connaisseuse qu’elle était, elle n’avait eu aucun mal à reconnaître ces individus qui fréquentaient visiblement le gang des Red Skulls. Ayant eu de nombreux démêlés avec eux, elle avait développé un talent tout particulier pour les repérer parmi les foules même les plus denses. Toutefois, outre leur appartenance évidente à la bande de truands, leur chef du moment, lui, ne pouvait simplement pas passer inaperçu pour qui s’y connaissait un tant soit peu : Zekka Thyne.

Primerose sentit un frisson lui parcourir l’échine. Porte-flingue notoire des Red Skulls, elle connaissait malheureusement trop bien ce type. Ayant déjà été un client sporadique, elle avait cessé toute activité avec ce dernier après qu’il eut levé la main sur elle pour lui foutre la rincée de sa vie. Grand, mince, sale gueule, tatouages un brin délavés et manteau tout droit sorti de la Matrice, le type avait tout pour la rebuter. D’autant plus qu’elle avait déjà eu la malchance de voir sa véritable tronche, laquelle l’avait marquée par sa laideur démoniaque. Enfin… après, ils étaient de la même espèce quoi… Bref.

Le cœur battant la chamade, la prostituée se mura dans une expression dure. Elle avait du mal à croire qu’elle croisait des Red Skulls même dans le district le plus huppé. C’était à croire qu’ils la suivaient comme une malédiction, planant au-dessus de sa tête avec la menace d’une épée de Damocles. Lentement, elle se releva avec pour objectif de quitter le London Lion par la porte de derrière. Toutefois, si elle avait la faculté de repérer l’aura infernale de Thyne les yeux fermés, force était d’admettre que l’inverse était tout aussi possible. Si tôt debout, la rouquine fut encerclée par les quatre types, lesquels la détaillaient sans équivoque.

- Primerose! Quelle magnifique surprise! Fit l’un d’entre eux, les bras croisés sur la poitrine et un air suffisant au visage.

Chang la regardait de la tête aux pieds, appréciant visiblement sa silhouette alors qu’il anticipait la suite de ce qui allait se dérouler. Thyne poussa son compagnon aux traits asiatiques, puis surplomba la catin de toute sa hauteur, ses longs cheveux encadrant son visage muni d’un rictus qui ne signifiait rien de bon.

- Les gars… vous m’avez manqué, vous savez? Fit la rouquine, sourire forcé au visage et équipée d’un cynisme plus qu’évident. Une femme ne peut-elle pas boire un verre sans se faire déranger? Vous pouvez aller vendre vos roses plus loin, je n’en achèterai aucune…

Les sourires qu’ils affichaient voulaient tout dire.

- La dernière fois que nous nous sommes vus, nous avons été interrompus dans notre discussion, fit Thyne de sa voix rauque alors qu’il avait glissé une main dans son dos. Je suggère que tu sois une gentille fille et que tu nous accompagnes à l’extérieur. Ce serait ridicule de saccager un si bel endroit, pas vrai? Tant de convives… ont-ils besoin d’assister à la suite?

La démone déglutit péniblement et jeta un regard tout autour. Tout naturellement, ses prunelles couleur d’émeraude se portèrent vers la porte des toilettes où elle put noter la silhouette de Kallatriel qui épiait la scène. Bordel… Ils allaient le buter s’il intervenait! Peut-être n’avait-elle que trop peu de foi envers son client régulier, mais elle ne désirait en rien le mêler à cette histoire… Elle était trop orgueilleuse et n’avait en rien envie que les Aldagoons ne s’en prennent davantage à elle vu ses fréquentations un peu trop… pures. Alors, naturellement, elle secoua très légèrement la tête, intimant silencieusement à son compagnon de plus tôt de ne pas intervenir.

Se peignant soudainement d’un sourire un peu plus convaincant, la beauté se retourna pour faire dos à Kallatriel et se rapprocha de Zekka Thyne, se lovant presque contre lui.

- Ne me dis pas que je te manque, mon chou? Susurra-t-elle. Je sais que nos séances de baise étaient presque incendiaires, mais je suis plutôt certaine que tu as pu trouver chaussure à ton pied, depuis… non? Allons… Zekka-chéri… Un homme tel que toi… Personne ne peut te résister, pas vrai?

Le rictus ne s’estompait en rien des lèvres du démon qui lui faisait face. D’ailleurs, pour témoigner du sérieux de ses intentions, il empoigna la chevelure de la belle, derrière son crâne, tirant très légèrement pour lui faire comprendre qu’il ne laisserait pas filer si aisément. Naturellement, Primerose sursauta.

- D’accord, d’accord, si tu insistes… Soupira-t-elle. Tu me laisses prendre un dernier verre, mon chou? Je crois que j’en aurai bien besoin, pas vrai…?

À attendre le gloussement des quatre hommes devant elle, elle se doutait bien que la suite des événements allait être toute sauf glorieuse. Roulant des hanches, la beauté se rapprocha du comptoir, puis esquissa son plus beau sourire.

- Je vais vous prendre trois shots de whisky je vous prie, fit-elle alors qu’elle déposait son sac à main près d’elle. Ouvrant ce dernier dans le but évident de payer, elle grogna d’insatisfaction alors que l’entièreté du contenu s’écroula au sol à ses pieds. Shit… I’m such an idiot… Marmonna-t-elle, causant l’hilarité des quatre hommes qui la détaillaient.

- Nerveuse, beauté? Fit Chang, d’un air goguenard alors qu’elle s’empressait de se pencher pour tout ramasser.

Alors qu’elle rassemblait ses cosmétiques et effets divers, la belle en profita subtilement pour marquer sa paume droite d’un point noir, grâce à son eyeliner liquide qu’elle trimbalait constamment avec elle. Rangeant le tout frénétiquement, elle se redressa et déposa le fric devant le barman avant de refermer son sac à main. D’une brève rotation du poignet, elle montra son marquage improvisé au tenancier, puis esquissa un sourire dans le processus avant de s’emparer de ses shots qu’elle engouffra l’un après l’autre.

Ce petit point noir tout simple était un signe généralement connu dans ce genre d’établissement. D’ordinaire, les femmes victimes de violence conjugale ou en danger l’utilisaient pour signaler subtilement leur situation. Un appel à l’aide silencieux, mais généralement connu de ceux qui en avaient été informés. Elle avait vu le regard que lui avait jeté le barman. Il avait compris. Ainsi, la police serait rapidement alertée, ce qui ferait fuir ces truands… forcément… non?

- C’est bon les gars, allons-y… Fit-elle en se retournant pour leur faire face.

Elle laissait ses précieux Louboutins derrière… Elle viendrait les récupérer plus tard, sachant que Kallatriel mettrait la main sur eux pour elle. Elle suivit donc les membres du gang, sortant de l’établissement par la porte de devant sans faire de grabuge. Le bras de Chang vint encadrer ses épaules frêles, l’attirant à lui sans la moindre vergogne.

- Tu seras très gentille ce soir, pas vrai? L’interrogea-t-il alors qu’il se penchait vers son oreille pour la lécher sans la moindre retenue.

- Aies-je réellement le choix? Oh et Chang… brosse-toi les dents à l’avenir… ton haleine sent la litière pour chats…

Non seulement son hygiène était parfois douteuse, mais sa susceptibilité n’avait d’égale que sa bêtise. Sans crier gare, il l’agrippa par la chevelure avec férocité, la poussant à grimacer de douleur. Alors que Chang la traitait ouvertement de pute (ce qu’elle était au fond, bravo pour sa perspicacité), lui et ses potes la traînaient brutalement vers une allée, suivis de près par Thyne qui marchait tranquillement, les mains dans les poches comme s’il s’agissait de la plus banale promenade de santé.

Grognant de douleur, la rouquine se sentit propulsée bêtement vers l’avant. Elle pivota sur elle-même dans le processus et son dos percuta rudement la surface salie d’une benne à ordures, faisant couiner les rats dans le processus, lesquels détalaient dans tous les sens.

- Son of a bitch! Grogna-t-elle en direction de l’Asiatique alors qu’il l’empoignait violemment par la gorge, coupant net l’arrivée d’air dans ses poumons.

Visiblement, sa véhémence ne les refroidissait en rien. C’était assurément le contraire, pour dire vrai. Et à voir l’attitude de son comparse Aldagoon qui dirigeait ce groupuscule, Primerose comprit qu’il avait plutôt l’intention de laisser ses trois subordonnés s’amuser avec elle…

Et merde…

Elle étouffait... et c’était peu dire. La pression sur sa gorge était telle que l’air ne passait plus et que sa chair tendre bleuissait à vue d’œil. Il était hors de question qu’elle ne crève lamentablement en ce lieu! OH QUE NON! Elle devait réagir, donner du fil à retordre à ce connard de Chang! N’importe quoi! Son cerveau démoniaque fonctionnait à cent mille à l’heure, cherchant désespérément une issue alors que le rictus de son agresseur s’élargissait sous ses yeux. La bouche ouverte, la prostituée émettait un couinement étouffé. Sa main frénétique quitta le poignet de son opposant, cherchant désespérément de quoi le faire lâcher prise. Elle avait planqué un minuscule poignard, semblable à un aiguillon, sous le textile de sa jolie robe, au niveau du buste. Primerose le conservait pour les cas d’urgence comme en ce moment. Ayant préalablement craint de subir davantage d’abus de la part des prêtres de l’Église de la Violence, elle avait cru bon s’en prémunir avant de quitter son logis. Visiblement, elle avait bien fait.

La suite se passa si vite et abruptement qu’elle eut du mal à comprendre, à première vue. Son regard paniqué était planté dans celui de Chang, lequel prenait un sadique plaisir à la voir ainsi. Puis du mouvement derrière lui attira son attention. Dans un geste instinctif, elle tourna ses jolies prunelles vers Zekka Thyne, repérant immédiatement son client de plus tôt, lequel profitait de la situation pour prendre le porte-flingue des Red Skulls de revers. Pour dire vrai, elle ne savait pas si elle le trouvait complètement dingue de vouloir agir de la sorte ou si elle lui en était profondément reconnaissante. Un habile mélange de ces deux émotions contradictoires, il fallait croire. Il était là, bras en croix, muni... d’une bouteille de Bacardi et d’une casserole encore mousseuse... Il... Il était sérieux? À voir le grand fracas qui heurta bêtement le crâne de Thyne, Primerose comprit qu’il était plus sérieux que jamais. Sous l’effet brutal de cette attaque sournoise, le démon ennemi s’écroula, se tenant la tête à deux mains et grognant de douleur. Bien évidemment, le geste brusque perpétré par l’ange eut pour effet de surprendre les goons de Zekka Thyne, lesquels pivotèrent sur eux-mêmes pour constater avec stupéfaction que leur patron était semi dans les vapes.

- What the...?! Who the fuck are you?! S’exclama le premier, visiblement ahuri devant l’assaut soudain de cet homme à l’apparence débonnaire.

Les trois humains sous-fifres de Zekka semblaient vouloir venger l’assaut ridicule qu’avait subi leur patron démoniaque. D’ailleurs, Chang avait un peu oublié qu’il était présentement en train d’agresser Primerose et ce moment d’égarement l’incita à relâcher légèrement sa poigne. Prenant une lampée d’air à la volée, comme si sa vie en dépendait, Prime plongea une main dans son décolleté et sortit son aiguillon, lequel elle enfonça avec force directement dans le flanc de son agresseur, à l’instar d’un scorpion.

- ARGH!! Salope!! Hurla l’Asiatique qui la relâcha complètement et porta une main instinctive à l’endroit où il avait été atteint. Elle m’a poignardé!!

Sa main droite dégoulinant d’hémoglobine qui n’était pas le sien, la prostituée tenait toujours fermement son arme alors qu’elle portait ses doigts libres à sa propre gorge malmenée. Toussant de manière incontrôlée, elle tentait de reprendre son souffle tout en jetant un regard haineux en direction des Red Skulls. Non... Non elle n’avait plus envie d’être une victime. Du moins, ce genre de petites agressions gratuites devaient cesser! Animée par une colère bouillonnante, la démone se redressa, droite et vindicative. Son regard émeraude rivé vers l’Asiatique toujours chancelant, la belle avait l’intention de lui faire comprendre qu’il n’avait plus intérêt à lever la main sur elle. Alors que les deux autres humains venaient de bondir sur Kallatriel dans le but évident de lui faire regretter l’attaque sournoise dont il avait gratifié Zekka Thyne, Primerose, plus perverse, s’occupa de Chang qui perdait déjà du sang.

L’agrippant par l’épaule, elle le tira voracement vers l’arrière et, grâce à l’adrénaline qui courait dans ses veines, le plaqua avec force sur le mur de briques devant elle. Sans attendre, elle enfonça à nouveau son aiguillon dans les chairs de son agresseur, une fois, puis deux, lequel hurla de nouveau.

- C’est la dernière fois que tu t’en prends à moi, est-ce compris?! Siffla-t-elle entre ses dents serrées, à l’instar d’une vipère. Et en plus, vous avez le culot de venir m’emmerder jusque dans un simple pub des beaux quartiers! Sa lame faisant toujours pression dans le flanc de Chang, la démone ne se fit pas prier pour lui enfoncer brutalement son genou dans les couilles, le forçant à plier davantage vers l’avant. Tu en as de la chance, mon cher Chang, susurra-t-elle à son oreille avec un rictus mauvais. Et tu sais pourquoi? Parce que normalement, je me fais un plaisir d’enduire mes petits jouets d’autodéfense dans du poison... Curare? Cigüe? Arsenic? Cyanure? Qui sait...? J’aime beaucoup la diversité, tu vois. Or, ce matin, je suis partie sans prendre cette précaution toute particulière... Alors tu peux te réjouir... Mais la prochaine fois – si prochaine fois il y a, parce que si tu pouvais crever, ça me ferait des vacances – je peux t’assurer que ma morsure sera d’autant plus dangereuse... Fais gaffe, et fous-moi la paix, compris?!

Son visage étant à quelques centimètres du connard qui avait osé l’étrangler, la belle se contenta d’esquisser un simple sourire et d’incliner légèrement la tête en notant toute la douleur qui trônait sur les traits du bougre. Dans un mouvement sec, elle retira la lame puis recula de quelques pas, le laissa s’affaler au sol. Zekka Thyne, pour sa part, reprenait lentement conscience de ce qui se passait, ce qui rendait la situation d’autant plus urgente! Kallatriel semblait pouvoir se défendre contre les deux humains qui lui faisaient face, mais doutant (probablement à tort, faute d’en savoir davantage sur lui) un peu de la forme physique du cinquantenaire, la belle ne comptait pas traîner sur les lieux plus longtemps. Rapidement, elle assena un solide coup de pied sur la tempe de son comparse démon qui tentait de se relever pour le ralentir encore davantage, puis se rua vers l’un des sbires qui s’en prenaient au supposé ange. Sans attendre, elle enfonça son aiguillon dans la cuisse du type, le déstabilisant sous la surprise et la douleur. Par la suite, elle le bouscula de toutes ses forces, le forçant à s’affaler sur le pavé humide alors que son comparse à la casserole vindicative s’occupa du dernier type debout.

- Ne traînons pas!! Cria-t-elle avant d’agripper le bras de son client cinquantenaire à la volée.

Parce que Zekka Thyne reprenait vite ses esprits... Et lui et ses compagnons seraient animés par encore davantage de véhémence et elle doutait pouvoir avoir le dessus sur eux à nouveau. Et puis, pas qu’elle n’avait pas foi en Kallatriel (en fait, elle était surprise de le voir ici présent, avec elle), mais le type cinquantenaire n’avait absolument pas la dégaine d’un combattant aguerri (du moins, si elle se fiait aux apparences...). Si tôt le tira-t-elle à sa suite que Thyne s’était relevé, le regard fou de colère. Zut, zut, zut!! Ils étaient dans la merde!

- Cours!!

Si d’emblée nous pouvions croire qu’elle fixait l’horizon par crainte de voir apparaître ces damnés volatiles, la réalité était un peu différente. Profitant un peu de l’accalmie l’instant présent (les moments comme celui-ci en Roanapur étant visiblement aussi rares que des cacas de licornes enchantées), Primerose observait le ciel étoilé, son magnifique regard émeraude se perdant dans cette immensité couleur cobalt et scintillant qui s’offrait à elle. Bon après… il suffisait d’une seule silhouette aux airs de pigeons hors normes et la panique referait surface, c’était évident. Disons simplement qu’elle était sereine... mais à l’affut malgré tout.

La voix rauque et chargée d’une fatigue inhabituelle, son compagnon lui révéla que leurs adversaires ailés n’avaient aucune intention de poursuivre leur chasse. Naturellement, l’aldagoon jeta un regard en coin en sa direction, démontrant ainsi subtilement toute l’étendue de son scepticisme, puis poussa un soupir. Il devait sûrement en savoir davantage qu’elle en termes de chasse aux démons… Lui faire confiance était probablement sa seule option, dans l’immédiat. Serrant ses bras contre sa propre poitrine comme pour se protéger de la fraîcheur nocturne, la catin ne put s’empêcher de glousser légèrement à la proposition, avouons-le, chargée de bonne volonté de son compagnon aux airs de geais bleus.

- Me raccompagner en ville? Répéta-t-elle avec un sourire amusé, jetant un regard un peu malicieux à son antonyme affalé sur le sable. Allons, Kallatriel… Tu as du mal à te tenir en position assise. Soyons honnêtes : si ça se trouve, c’est à moi de te raccompagner chez toi. Et avec ton apparence factice en mille morceaux… Tu es sûr de vouloir traîner en ville? D’ailleurs, tu devrais assumer tes traits plus souvent… ça te va vraiment bien.

Bon après, il semblait un brin déçu alors que son regard détaillait les loques qui traînaient au sol… Pourquoi? Il aimait cet air négligé et prématurément âgé qu’il se coltinait au quotidien? Comme un genre d’alter ego à qui il se serait attaché au fil du temps?

- Pourquoi? Fit-elle soudainement attirant le regard de son vis-à-vis sur elle. Pourquoi tu revêts cet accoutrement factice? Parce que si la couleur céruléenne de tes cheveux est à l’origine de tes soucis, je t’annonce officiellement qu’il existe de la teinture exactement pour ça. Enfin… non je comprends en partie l’idée, pour dire vrai… Ne faisait-elle pas exactement la même chose? Mais ma situation, bien que similaire à la tienne, reste malgré tout bien différente. Hum… je m’exprime mal, je sens. Poussant un soupir, la créature ténébreuse ramena ses jambes dorénavant poussiéreuses contre sa poitrine, plongeant ses prunelles sur l’immensité océanique qui s’étalait devant eux. Je veux dire : je saisis bien le besoin d’évoluer sous une apparence factice, d’emprunt. Mais quand ton apparence originelle a autant bonne mine versus l’impression que tu veux donner, je me questionne sur le but originel. D’autant que j’ai pu comprendre qu’une grande majorité d’anges assument bien leur apparence réelle, à quelques détails près. Alors… pourquoi?

Bon après, ça lui faisait vraiment étrange de voir Kallatriel sous ce jour complètement différent. Il était si… jeune versus ce qu’elle avait toujours cru. Tout l’opposé de la très grande majorité des aldagoons, lesquels utilisaient les apparences factices pour éviter de faire état de leur laideur incommensurable au grand jour. Et honnêtement? Elle n’en faisait pas exception. Elle n’avait d’humanoïde que la silhouette, autrement, elle ne passait carrément pas inaperçue... dans le mauvais sens du terme.

- Mais pour répondre à ta question de plus tôt : oui, je veux bien passer plus de temps avec toi. De toute façon, à voir l’état dans lequel tu te trouves, j’aurais étonnamment mauvaise conscience de te laisser seul. Parce que visiblement, même les créatures infernales pouvaient être dotées d’un minimum de sens commun.

Elle le gratifia d’un sourire, laissant entendre que sa colère de plus tôt s’était totalement dissipée. Des éclats de voix, au loin, leur confirmèrent que d’autres individus profitaient des bienfaits nocturnes de la plage. Puisque son sixième n’était en rien sollicité, Prime put établir qu’il s’agissait tout bonnement d’humains.

- Nous ferions mieux de partir, où ils se poseront des questions en voyant nos dégaines lamentables... Souffla-t-elle en direction de son compagnon d’infortune. Tu n’habites pas très loin d’ici, je me trompe? C’est plutôt moi qui te raccompagnerai chez toi...

Malgré l’impact de son dos contre la pierre de plus tôt, la rose incandescente se redressa, l’air de rien. Il fallait dire que sa nature méphistophélique la rendait beaucoup plus résistante aux coups que le commun des mortels, d’autant plus qu’elle avait cette botte secrète inconnue de tous : sa régénération typiquement infernale. Tendant la main vers son compatriote aux ailes amochées, la beauté l’aida à se relever, l’incitant à prendre appui sur elle pour mieux se mouvoir.

- Je me doute bien que tu dois être complètement épuisé, mais le plus simple sera de te reposer dans un endroit sécuritaire, loin des curieux.

Poussant son client régulier à encadrer ses épaules frêles de son bras meurtri, la catin fit office de béquille alors qu’elle suivait son indication silencieuse afin connaître la direction à prendre; après tout, ils se dirigeaient vers la maison de Kallatriel. Pour dire vrai, la rouquine n’avait jamais mis les pieds chez son client. Normalement, ils fréquentaient les établissements commerciaux et terminaient généralement leurs séances lascives dans une chambre louée à cet effet. Toutefois, l’homme britannique lui avait déjà parlé de sa chaumière, alors la prostituée avait vite compris que la résidence privée était de loin le lieu le plus sûr et le plus près, en ce moment.

De loin, dans la noirceur de la nuit, on pouvait croire qu’il s’agissait de deux amoureux marchant, bras dessus, bras dessous... Ou alors d’un homme complètement ivre qui nécessitait l’intervention de sa copine pour se déplacer... Pour dire vrai, Prime n’avait cure de ce que les gens pensaient en ce moment. Tout ce qui comptait pour elle était de trouver un endroit tranquille où se poser.

- Je ne sais pas comment me positionner face à ton intervention de plus tôt, fit-elle doucement, le regard rivé devant elle alors qu’ils progressaient lentement sur le sable de la plage. C’est à la fois très courageux de ta part d’avoir affronté Thyne... mais un peu inconsidéré également. Il aurait pu te tuer. Par les neuf enfers, il T’AURAIT tué si les autres anges n’étaient pas intervenus. Je... J’apprécie que tu aies voulu me sortir de ce pétrin, mais à la limite... j’aurais subi un sale quart d’heure, sans plus. Un mauvais moment de plus ou de moins... Bref. Il ne t’aurait pas épargné, toi. D’autant plus que tes copains angéliques risquent de te réprimander pour m’avoir aidé à m’échapper... Tu ne trouves pas que c’est un prix lourd à payer?

Elle lui jeta un regard en coin, puis poussa un soupir. Il était rare qu’elle ne ressente des remords... Mais en ce moment, c’était un peu différent. Outre le fait que Kallatriel était un bon client (qui offrait des cadeaux extra, tiens! Si seulement elle pouvait remettre la main sur sublimes Louboutin...), il était également un homme juste et bon... Il y avait trop peu de types dans son genre en Roanapur.

Elle sentit les jambes de son compagnon se dérober sous lui. Naturellement, la démone raffermit sa poigne alors que son bras libre lui entourait la taille pour le supporter. Il était carrément au bout du rouleau le pauvre. Il avait réellement besoin de repos.

La silhouette d’une coquette maison se dessinait au loin. Bien qu’il faisait trop noir pour qu’elle puisse bien détailler les environs, la jeune femme ne doutait en rien qu’il s’agissait de l’endroit où vivait son compagnon séraphique.

- C’est là? Fit-elle en désignant l’établissement d’un mouvement du menton. Tiens bon, d’accord? On y est presque!

Le silence qui régnait entre eux persistait alors qu’ils voyaient poindre au loin la chaumière à priori coquette de l’ange à la chevelure céruléenne. Primerose ne voyait aucun inconvénient à cette ambiance d’un calme plat. Parler n’était pas toujours requis ou pertinent. Le bruit des vagues était apaisant et la brise saline se faisait agréable dans leur chevelure. Franchement, la plage à cette heure tardive... c’était plutôt bien. Il en avait de la chance, l’emplumé, de vivre dans un endroit pareil. Ça n’avait absolument rien à avoir avec son appartement pourri situé à la limite de la South Zone. Dans son cas à elle, la sublime vue de l’océan était troquée par la vision des déambulations des ivrognes errant dans les rues et l’odeur saline était remplacée par les effluves d’urine et de sueur... De quoi faire rêver... #InsertSarcasm

La voix calme et rauque de Kallatriel se fit entendre, sur sa droite, poussant la beauté à lui jeter un regard en coin. Ses magnifiques pupilles océaniques fixaient l’horizon alors qu’il articulait des propos qui – elle en était certaine – n’avaient pas été dévoilés depuis fort longtemps. Connaissant le bougre, la catin se doutait bien qu’il ne parlait de sa condition séraphique qu’à très peu de gens, sinon personne. Soucieuse de ne pas l’interrompre dans sa lancée, la créature incendiaire ramena également son regard vers l’horizon, se concentrant sur les révélations de l’ange. Militaire anglais? Jusqu’à présent, jamais elle n’aurait cru que Kallatriel eut autrefois en possession de la fibre guerrière. Enfin, il était médic’, selon ses dires, mais quand même. Est-ce que sa compagnie avait servi dans plusieurs conflits? Qu’est-ce que ces yeux avaient pu bien voir pendant cette période qui, forcément, n’était probablement pas si glorieuse que ça? L’envie de l’interroger la taraudait, mais si son statut de catin lui avait appris une chose, c’était de laisser parler le client lorsqu’il en ressentait le besoin : ça lui permettait d’en apprendre davantage sur lui.

Puis, son compagnon effleura le sujet de son ancienne compagne. Primerose avait cru comprendre qu’il était endeuillé. Bien qu’il ne soit jamais entré dans le vif du sujet auparavant, certains propos et certains réflexes ne mentaient pas, eux. Alors, il avait eu une femme, jadis... Ça expliquait la mélancolie qu’elle percevait chez lui sporadiquement. Enfin... ceci explique cela... Elle comprenait mieux maintenant les prothèses et cette fausse identité débonnaire dont il se targuait. C’était quand même d’une ironie incroyable : il banalisait son apparence pour paraître plus humain, elle embellissait la sienne pour l’exacte même raison. Deux mondes opposés. Deux modes de vie et deux modes de pensée exponentiellement différents. Et pourtant, contre toute attente, personne ne pouvait mieux se comprendre qu’eux deux, en cet instant précis.

Sa pensée vogua au-delà de l’océan, au-delà de leurs deux corps se traînant vers la résidence. Elle aussi avait ce passé caché. Contrairement à Kallatriel, elle n’avait pas fait autant d’efforts pour préserver son amour et le maintenir dans le déni le plus total, juste pour son bonheur à lui. Non. Samaël avait passé si près de découvrir ce qu’elle était. Elle avait eu peur et avait préféré fuir sans laisser de trace. Jouer à l’autruche et faire la morte était tellement plus simple que de l’affronter en pleine face et le laisser. Ce courage, elle ne l’avait jamais eu. Quelle pleutre elle était, quand même...

Ravalant difficilement sa salive, la démone secoua doucement de la tête.

- Maybe you’re right. Maybe I don’t really know what you’re talkin’ about, fit-elle de son accent parfaitement américain. But I can assure you that I can relate in so many ways… Don’t underestimate me, Kallatriel.

Il ne releva pas. Elle ne lui en voulait absolument pas. Ce n’était pas d’elle dont il était question, mais de ce que l’ange avait envie de partager. Un pas devant l’autre, ils progressaient, voyant avec bonheur la chaumière se rapprocher au fil des mètres parcourus. Puis, son compagnon lui révéla l’identité du chef de l’escouade angélique qui avait croisé leur route, plus tôt. Son frère? Aïe! There WILL be trouble in paradise soon enough. Peu soucieuse de l’interrompre à nouveau, elle se contenta de lui balancer un regard navré. Après tout, il venait de se jeter tête première dans une belle merde, et ce, uniquement dans le but de sauver son cul à elle. Certes, elle était de nature infernale, mais elle n’était pas non plus totalement ingrate. Elle lui revaudrait ça, elle se le promettait. Non seulement faisait-elle partie de cette race qu’il ne devait pas protéger, mais il était même naturellement invité à contribuer au massacre, qu’on le veuille ou non...

Une fois sur le pallier avant de la maison, Primerose observa son client et ami farfouiller ses poches à la recherche de son trousseau de clés. En un tour de main, la porte fut déverrouillée et l’ange invita la démone à entrer. Ne se faisant pas prier, la rouquine s’introduit dans la demeure et s’assura, au préalable, que l’emplumé n’allait pas bêtement s’écraser sur le parquet, à bout de forces. Le pauvre homme avait vécu énormément de choses ce soir et aurait assurément besoin d’une bonne dose de repos. La créature infernale détailla les environs, admirant l’ambiance méditerranéenne qui y régnait. Franchement, il avait beaucoup de goût pour la déco! Ou alors, était-ce l’héritage de cette femme avec qui il avait partagé sa vie? L’endroit respirait le calme, la sérénité et possédait cette chaleur typique aux foyers familiaux. Elle n’avait aucune idée si Kallatriel avait une descendance, mais franchement, cette maison sentait l’amour à plein nez... Ce qu’elle-même n’avait jamais vraiment connu, sauf pendant cette infime période où ils s’étaient posés dans un appartement miteux New Yorkais, elle et Samaël.

Kallatriel se dirigea vers une grande armoire de bois blanc et au look antique, puis fit main-basse sur une serviette d’un vert émeraude magnifique. Passant devant la créature infernale, il entra dans la coquette salle de bain et activa le robinet de la baignoire. Ah, il désirait décompresser et probablement soigner ses plaies. C’était légitime! Pour sa part, elle allait simplement se poser sur une chaise et se masser les pieds. Les escarpins, c’était jolis, mais franchement l’inconfort était souvent total. Malgré tout, elle jeta un coup d’œil à la pièce qui embaumait déjà les huiles essentielles, sa curiosité étant débordante. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’elle comprit que la baignoire était prête... pour elle! Franchement, ne trouvait-il pas qu’un truc clochait? Elle avait la chance de se détendre sous l’eau chaude alors qu’IL avait fait tout le travail et s’était récolté la rincée de sa vie?

- Ce devrait être l’inverse, en fait... Protesta-t-elle alors qu’il l’ignorait superbement poussant même l’audace à la gratifier d’une coupe de vin rouge.

Eeeeeeeeet il venait de sortir, refermant la porte derrière lui. Franchement, elle n’en croyait pas ses yeux. Soit il était réellement d’un altruisme infini, soit il était un brin stupide. La réalité voulait que l’option 1 soit privilégiée, pour dire vrai. Détaillant le magnifique miroir devant elle, Primerose se demandait si elle ne devait pas insister... Mais quelque chose lui disait que l’ange pouvait être une véritable tête de mule lorsqu’il s’y mettait. Bon bah alors...

Elle balança ses escarpins dans un coin de la pièce, appréciant la fraîcheur de la surface en céramique sur la plante de ses pieds. Elle retira ses bijoux, lesquels furent déposés sur le comptoir près de l’évier, tout juste à côté de la coupe de vin, puis glissa ses mains dans son dos pour faire glisser la fermeture éclair de sa robe cigarette de couleur verte. Le tissu abîmé par leurs escapades coula au sol comme une rivière de textile et bientôt, ses sous-vêtements de dentelle noire connurent le même sort. Se saisissant de la coupe de vin, la prostituée se glissa dans cette baignoire délicieusement chaude et parfumée à souhait. Oh bon sang, ça faisait un bien fou! Elle ferma les yeux, un instant, appréciant ce moment d’une simplicité toute bête, mais qui avait ce chic de la revigorer. Entre deux gorgées alcoolisées, la créature infernale en profita pour décrasser son épiderme d’un blanc laiteux, frottant sa peau salie par le sable lors de leur chute précédente. S’enfonçant sous l’eau entièrement, elle resta là un petit moment, enveloppée dans ce cocon aqueux et chaleureux. Puis, elle entreprit de se frotter le visage, histoire de retirer les vestiges de ce maquillage qui, avouons-le, n’était plus aussi glorieux qu’au moment de son application.

Des idées muaient dans sa tête incendiaire. Elle se devait de remercier adéquatement son hôte, lequel refuserait assurément toute forme de compensation de sa part, vu son tempérament profondément altruiste. Toutefois, Primerose détestait avoir ce sentiment de dette. Or, c’était exactement le cas, en ce moment. Et puis... toutes ces petites attentions avaient ce don de faire naître en elle de bien meilleurs sentiments qu’au moment de son atterrissage forcé, sur la plage. Faire payer Kallatriel? Hors de question. Ce serait cadeau de la maison. Tournant son regard émeraude vers la porte close, la beauté sentait ce feu ardent lui mordre les entrailles et c’était tout sauf désagréable.

Primerose était une démone. Corrompre faisait partie de sa nature profonde. Elle n’y pouvait rien, elle était née ainsi. Pouvait-on exiger d’un chat qu’il n’affûte pas ses griffes? C’était instinctif. Comme un besoin primaire. Or, qu’y avait-il, de l’autre côté de cette porte? Un petit ange qui était dans de très bonnes dispositions pour être corrompu. Était-ce réellement une mauvaise chose, si au final, la situation était profitable pour les deux parties? Il avait besoin de se détendre, elle ressentait le besoin de faire ce pour quoi elle avait été créée... Lentement, dans un mouvement suave, elle s’extirpa de la baignoire avec la fluidité d’une vipère en chasse. Son pied détrempé se posa à nouveau sur la céramique, humectant le sol dans le processus. Elle ne prendrait pas le temps de faire usage de cette serviette. De toute façon, Kallatriel ne lui en voudrait pas, non? Ce n’était qu’un peu d’eau... et elle était flambant nue, ses cheveux roux humides coulant sur ses épaules comme un torrent incendiaire, maintenant que les bouclettes étaient disparues. Elle tenait nonchalamment cette coupe de vin entre ses doigts, désireuse d’en faire usage en détendant l’atmosphère grâce aux effets dépresseurs de l’alcool.

La porte grinça, alors qu’elle venait de l’ouvrir. Il était assis sur ce canapé moelleux, un air concentré au visage. Visiblement, il pansait sa plaie faciale, laquelle avait assurément besoin de raccommodage. Il venait de lever la tête, instinctivement, en sa direction et dans ce regard, elle comprit qu’ils étaient sur la même longueur d’onde. Sans le quitter de ses yeux brûlants, la beauté porta sa coupe à ses lèvres, terminant le liquide rubis en une rasade.

- C’est bête, fit-elle doucement. Je n’ai plus de vin. Et franchement, je me sens seule, là-dedans.

Elle ondula des hanches, à l’instar de la vipère qui la représentait si bien, alors qu’elle s’approchait du canapé où il siégeait, interdit devant la scène qu’elle lui offrait. Sur la petite table basse devant lui se trouvaient une coupe pleine et ladite bouteille de vin.

Sans un mot, la démone se pencha langoureusement et agrippa le contenant pour verser l’alcool rubis dans sa coupe nouvellement vide. La bouteille retourna à son emplacement d’origine, puis Primerose contourna la table basse. Du revers de la main, elle écarta doucement le miroir du visage de l’ange, puis vint s’installer à califourchon sur l’hôte des lieux, dévorant ce dernier du regard.

- Tu as besoin de détendre, mon chou, souffla-t-elle du bout des lèvres, portant sa propre coupe aux lèvres de l’être séraphique pour l’inciter à boire. Et ça tombe bien, je sais exactement quel remède serait approprié...

La raideur qu’elle ressentait sous elle ne mentait guère. Il ne pourrait pas se cacher derrière de faux semblants, ce serait douter de l’intelligence de la démone et il n’oserait pas. Si d’emblée elle eut envie de pousser l’audace jusqu’à verser la balance du vin sur sa poitrine nue pour titiller davantage son homologue angélique, Primerose eut tout de même une pensée pour ce pauvre canapé beige qui écoperait d’une tache disgracieuse pour toujours. Non... Elle se contenta d’inciter son compagnon à avaler tout le contenu alors qu’elle se penchait pour embrasser et mordiller la peau délicate de son cou. Une fois chose faite, elle déposa la coupe vide sur la table de chevet, puis se redressa tout bonnement, agrippant Kallatriel par les vêtements pour l’inciter à la suivre vers la salle de bain, là où la baignoire chaude les attendait.

Elle était la corruption et à l’instar d’Ève depuis la Genèse, il allait croquer dans le fruit interdit. Elle en faisait le serment. De toute façon, elle sentait que sa volonté était déjà foutue, prise au piège entre ses griffes infernales. Une fois dans la pièce de prédilection, Primerose poussa Kallatriel à s’adosser contre un mur alors qu’elle faisait disparaître le textile qui enserrait toujours sa poitrine masculine. Embrassant et léchant chaque parcelle de peau qui s’offrait à elle, la démone décida de s’agenouiller au sol, défaisant la ceinture et la braguette d’une main experte, elle qui l’avait fait si souvent dans sa vie.

Sa bouche se faisait expérimentée et gourmande, alors qu’elle s’abreuvait des grognements de satisfaction qu’elle pouvait percevoir malgré ses paupières closes. Comme il n’était que volupté lorsque la vipère s’emparait de lui! Se délectait-il, comme elle, de cette situation ironique où le démon se pliait devant l’être céleste? Enfin... se plier... c’était vite dit! Elle le tenait littéralement par les couilles, quoi! Cette pensée goguenarde eut ce chic de la faire sourire malgré elle, pendant qu’elle s’affairait à ses délectations buccales et sensuelles.

Au bout d’un moment et peu désireuse que le jeu ne prenne déjà fin, la créature relâcha son emprise voluptueuse et se redressa avant de se lover contre son homologue séraphique.

- Dis-moi mon chou... Dis-moi ce que tu désires et je serai à tes ordres, souffla-t-elle doucement pour attiser ce brasier. Ne te retiens pas... que souhaites-tu le plus ardemment? Parle sans crainte et j’obéirai.

Petit ange, petit ange... Tu chanteras tes louanges pour elle, car la corruption en a décidé ainsi.

Elle adorait le voir brûler de passion pour elle, comme en cet instant présent. Certes, tout son être se nourrissait de cette convoitise à l’instar d’un repas bien copieux après avoir été trop affamée. Toutefois, dans le cas de Kallatriel, cette pitance était d’autant plus exquise qu’elle provenait d’un être immensément plus pur que la moyenne des plébéiens qui requéraient ses services sans la moindre vergogne. Toutes les fibres de la créature céleste transpiraient la bonté et l’altruisme, alors il était d’autant plus exquis de s’en délecter, elle qui était si affamée devant cette luxure submergée dans l’interdit le plus absolu. Si ça se savait... De quoi indigner toute la communauté éthérée et les pousser à crier au scandale! Primerose avait envie de glousser en imaginant toute l’indignation qu’elle aurait assurément suscitée au sein des troupes adverses. Toutefois, peu soucieuse d’entacher la réputation de son jouet du moment, elle décida qu’il était d’autant plus excitant de garder ce petit secret entre eux deux, titillée à l’idée d’être au sein de ce petit jeu baignant dans l’interdiction la plus absolue.

Ses propos susurrés avaient fait leur effet et c’était peu dire! Sans attendre et probablement porté par cette pulsion typiquement mortelle, Kallatriel se saisit du bras gracile de la catin et l’entraîna vers la cuisine dans un geste chargé d’urgence sans pour autant être gorgé d’agressivité. Dans la hâte de pouvoir se délecter des plaisirs charnels, le céleste repoussa d’un geste du bras tous les effets trônant sur le mobilier de prédilection avant de se saisir de son amante. Oh elle se fit docile! Si docile... Gloussant d’excitation, elle noua ses longues jambes autour de la taille de son partenaire de jeu, appréciant la poigne ferme de ses mains vigoureuses sur sa croupe alors qu’il amenuisait la distance entre leur bassin respectif. Lascive, elle embrassa cette bouche avec passion avant de mordiller dans un geste coquin la lèvre de son vis-à-vis, lequel décida de ne pas se faire prier pour quérir son dû.

Oh elle n’allait pas s’en plaindre! Son corps entier n’était que braise et c’est dans un mouvement instinctif qu’elle écarta les cuisses pour donner libre accès à l’ange, lequel profita de l’occasion pour s’enfoncer avec passion dans ses entrailles. Quel délice! D’ailleurs, elle ne se fit pas prier pour geindre d’approbation et de satisfaction! Pour dire vrai, elle aimait bien cet aspect un peu brutal et enflammé de son amant du moment, lequel était d’ordinaire un peu plus réservé dans leurs ébats. Serrant un peu les cuisses en guise d’encouragement, Primerose se redressa sur les coudes lorsqu’elle sentit la main de son partenaire se glisser sur sa nuque dans le but évident d’amenuiser la distance entre eux. Gourmande, elle accueillit volontiers cette langue contre la sienne, répondant à ce baiser avec autant d’ardeur.

Alors que chaque coup de bassin octroyé avait ce chic de la faire vibrer davantage, quelle ne fut pas sa déception de sentir son compagnon de luxure se retirer sans préavis. Quoi? Qu’y avait-il de si urgent pour qu’il ose la couper de ce plaisir charnel qu’elle considérait si mérité? Désirait-il la faire languir? La titiller davantage? Ou alors il n’en avait plus envie? Auquel cas, elle allait devoir penser à terminer le travail toute seule... ce qui était décidément moins tentant, voire carrément décevant. Un air interrogateur au visage mêlé à une moue boudeuse, la rouquine détailla les traits désormais plus jeunes de ce client qu’elle voyait pour la première fois sous un jour nouveau, puis fut étonnée de constater la présence de ces ailes imposantes, d’un magnifique bleu azuré. Les appendices duveteux – bien qu’abîmés par les confrontations récentes – se dressaient, fiers, puissants, presque intimidants. Expression langoureuse au visage, le bellâtre céruléen se pencha à nouveau vers son antonyme démoniaque susurrant du bout des lèvres une requête à la fois étonnante et presque arrogante. Il désirait la voir sous sa forme originelle. Tiens donc! Venait-elle de faire la découverte d’une pulsion fétichiste chez son vis-à-vis purement éthéré? Voilà qui était plutôt intéressant. Toutefois, avant qu’elle ne puisse piper mot, l’ange qui la dominait de toute sa hauteur la gratifia à nouveau d’un coup de bassin un peu plus rude, goûtant à nouveau à ses voluptés pour le plus plus grand plaisir de la créature infernale.

Qu’il était entreprenant ce soir! Elle n’allait assurément pas s’en plaindre, d’autant plus qu’elle ne put contenir ses gémissements approbateurs lors de l’exploration tactile de sa féminité qui en redemandait toujours. Et quelle réponse elle reçut! Entre stimulation et mouvements de va-et-vient bien calculés, elle était servie!

D’accord! Il voulait jouer? Alors elle serait bonne joueuse. Un sourire à la fois ravi et taquin se glissa sur ses lèvres alors qu’elle cambrait le dos sous les vagues de plaisir qui l’envahissait. Cette expression à la limite extatique devint un peu plus carnassière, alors qu’elle abaissait son regard émeraude sur lui.

Sans attendre, elle appuya son pied à plat sur le torse de son amant et le repoussa avec force, l’obligeant à tomber en position assise sur la chaise (qui avait préalablement été écartée pour donner davantage d’espace) derrière lui, passant tout près de le faire tomber à la renverse d’ailleurs. Dans mouvement fluide et langoureux, la belle se redressa en position debout, détaillant son petit jouet si coquin devant elle.

- Tu es certain de ce que tu souhaites, Kallatriel de Sullustéhan? Minauda-t-elle en s’approchant lentement et en ondulant des hanches comme la vipère qu’elle était. À partir du moment où les barrières seront entièrement tombées, les choses seront différentes. Ne dit-on pas que de se dévoiler au grand jour est quelque chose de tabou? J’aurais cru que vous, les anges, seriez les premiers à tenir mordicus à cette Loi non écrite. Ma foi, c’est rafraîchissant de voir que tu es si différent de tes pairs.

Contournant son délicieux amant ailé, la démone laissa ses doigts glisser sur le biceps gauche de ce dernier, puis remonter sur son épaule, son trapèze et sur sa nuque alors qu’elle s’approchait de la fenêtre pour bien tirer les rideaux; les rumeurs voulaient que les anges soient de sales petits fouineurs, alors elle ne désirait prendre aucune chance. Une myriade de frissons semblait parcourir cet épiderme clair qu’elle avait l’impression de redécouvrir pour la première fois.

- Tu sais très bien que tu ne me verras plus de la même façon après ce soir, pas vrai? Parce je n’ai en rien ton élégance, ni ta grâce... Tu risquerais de regretter, après tout...

Ses doigts parfaitement manucurés se glissèrent dans les plumes abîmées, caressant le pennage avec lenteur en évitant bien les blessures et appréciant la texture si douce... Primerose fit de nouveau face à son partenaire de jeu, puis enjamba ce dernier (qui était toujours en position assise sur cette chaise) sans toutefois elle-même s’asseoir. Elle se pencha vers l’avant, frôlant ses lèvres des siennes... puis agrippa avec férocité cette chevelure bleutée si soyeuse pour l’obliger à pencher la tête vers l’arrière et exposer sa gorge qu’elle embrassa avec sensualité. Primerose était une aldagoon : un peu de brutalité de sa part était loin d’être étonnante.

- À quel point le souhaites-tu, petit ange? Susurra-t-elle à nouveau, sa voix se modifiant alors qu’elle laissait lentement sa nature profonde prendre le dessus. Son timbre se dédoublait : à la fois claire et grave, désincarnée, comme si plus d’une personne discutait à la fois. À quel point désires-tu franchir cette limite?

Elle mordillait et léchait la peau agréablement chaude de son partenaire, tout près de la mâchoire et de la base de l’oreille. Sa réponse la fit sourire. Ses crocs s’effilèrent, ses magnifiques prunelles émeraude se ternirent pour ne devenir que deux trous sombres et béants bordés de cernes creux et où trônait le néant absolu. Sa peau, si parfaite et immaculée, perdit rapidement de son éclat pour revêtir une teinte anthracite et striée de crevasses brillantes et incandescentes, à l’instar de fissures volcaniques dévoilant l’hémoglobine de lave protégée par la croûte terrestre. Sa silhouette en sablier persistait sous cette apparence bestiale, bien que ses flancs soient davantage creusés que d’ordinaire, dessinant sans vergogne le profil de sa cage thoracique et témoignant de sa maigreur usuelle. Sa chevelure rousse et bouclée s’allongea considérablement, la couleur éclatante s’accentuant davantage et rappelant les flammes de l’enfer ponctuées de reflets de métal en fusion. À travers cette tignasse abondante se dressaient fièrement deux cornes d’onyx acérées, telle une couronne démoniaque qui n’avait absolument rien de princier. La prolongation de sa colonne vertébrale foutait maintenant l’air en un appendice filiforme couleur charbon et rappelant la queue d’un rat, tel la vermine qu’elle était. Finalement, de sa manucure parfaite ne restait que des griffes d’obsidiennes acérées, lesquelles creusaient maintenant des sillons peu profonds et légèrement sanguinolents sur le pectoral droit de l’ange. Sans hésiter, la créature des ténèbres vint quérir les gouttes de vie avec sa langue avant de se redresser de toute sa hauteur et de relâcher la magnifique chevelure océanique de son antonyme le plus total.

Elle jaugea le représentant de Sullustéhan un instant d’un air calculateur, ses orbites de néant étant assurément insondables pour qui ne la connaissait pas entièrement. Dans un geste lent, elle glissa une griffe sous le menton de Kallatriel pour détailler ses traits, puis son sourire s’élargit, dévoilant ses crocs en une expression carnassière. Elle avait toujours faim. Sans attendre, elle se lova contre son partenaire du moment avant de s’asseoir sur son bassin à califourchon pour inciter sa masculinité à s’enfoncer dans ses chairs avides de beaucoup plus. Elle ondulait des hanches avec lascivité, imposant un rythme qui ne semblait en rien déplaire aux deux partis. L’épiderme sombre et terne de l’aldagoon jurait contre la teinte immaculée presque étincelante de l’angélique. Deux contrastes unis dans l’indécence. Les antagonistes étaient seuls au monde, bien entrelacés dans leur bulle de luxure et effectuant une valse monochrome sans aucun spectateur pour admirer la performance dans un élan de voyeurisme. Aucun tabou. Aucune barrière. Deux créatures immensément opposées commettant l’interdit en toute connaissance de cause. Brutalité et douceur. Passion et lenteur. Force et délicatesse.

Et pourtant, malgré ces oppositions constantes qui les rendaient si différents, la finale en feux d’artifice [enfin... au sens figuré quoi... un peu de poésie, bon sang!] n’en fut pas moins des plus satisfaisantes.

Toujours à califourchon sur son amant improbable, Primerose gloussait de satisfaction, le front appuyé contre le trapèze de l’ange. La très fine pellicule de sueur ne l’incommodait en rien, rendant le tableau de leurs deux corps enlacés d’autant plus sensuel (bien qu’étrange!), à son humble avis. Presque féline, elle se redressa de son délicieux perchoir de luxure, faisant fi des fluides corporels qui témoignaient sans équivoque de leur imprudence. Fort heureusement, Primerose faisait déjà usage d’une contraception réputée efficace, alors les risques de grossesses indésirables étaient plutôt minces. De plus, elle ne doutait en rien que Kallatriel fut « réglementaire » quant à son hygiène de vie et pour sa part, elle prenait bien soin de sa santé sexuelle ne lésinant en rien sur les visites médicales mensuelles et ponctuelles... enfin, il fallait dire que, d’ordinaire, ce genre « d’accidents » dépourvu de latex n’arrivait jamais.

- Est-ce un fétichisme pour les forces obscures que j’ai pu percevoir chez toi, Kallatriel? Fit-elle de sa voix désincarnée et d’un ton taquin avec un sourire chargé de sous-entendus. Monsieur aime visionner les silhouettes des pauvres petites aldagoons innocentes lors de ses prouesses sexuelles? J’en prends bonne note pour le futur. C’était magistral!

Bien évidemment innocence et démon étaient antinomiques, tout le monde le savait. Dans un mouvement fluide, elle se détourna non sans lui octroyer un clin d’œil, puis se rapprocha de la salle de bain, là où une baignoire bien chaude l’attendait toujours.

- Ta requête m’a surprise, je dois l’admettre. Cultives-tu cette fantaisie depuis longtemps, dis-moi? Ajouta-t-elle en s’engouffrant dans la pièce et se dirigeant vers l’eau chaude.

La porte était grande ouverte en une invitation évidente à la rejoindre.

Elle s’avança dans la petite salle de bain coquette et bien entretenue dans un roulement de hanches bien assumé. La belle roucoulait presque à la suite de cette folie charnelle qu’elle avait échangée avec son client régulier. Certes, les rapprochements physiques ne leur étaient pas inconnus, mais c’était la première fois qu’ils osaient la chose, libre de tous leurs artifices quotidiens. En fait, il y avait quelque chose de délicieusement excitant dans le fait de faire preuve d’une mise à nu des plus totales. Primerose ne s’était jamais permis d’être entièrement elle-même dans ses ébats, auparavant, alors cette nouveauté la charmait. Ainsi, était-ce si étonnant de voir ses traits anthracite afficher un air satisfait?

Se penchant vers l’avant, la créature incendiaire glissa ses doigts griffus dans l’eau chaude de la baignoire, appréciant la température enveloppante qui s’y dégageait toujours. Puis, dans un mouvement fluide, elle enjamba la paroi de porcelaine et se glissa toute entière sous le liquide chaleureux, soupirant d’aise dans le processus. Sa longue chevelure de lave coulait sur ses épaules pour s’étendre dans l’eau autour d’elle et la belle profita des quelques secondes de solitude pour se plonger toute entière, submergée sous la surface miroitante jusqu’à la pointe de ses cornes.

Ce fut la silhouette imposante de Kallatriel qui la poussa à sortir de sa tanière aquatique, ce dernier affichant un sourire avant de se glisser derrière elle, tel un amant désireux d’un peu de chaleur humaine (ou enfin... démoniaque?). Ainsi enlacée et enrobée de plusieurs sources de chaleur, la vipère pouvait presque siffler de contentement. Même si revêtir sa forme pour un moment de frivolité était excitant, Primerose devait admettre que son apparence factice lui semblait étrangement plus naturelle. Elle y était davantage habituée... Ainsi, ce ne fut pas très surprenant de voir le gris anthracite de son épiderme se muer en un blanc laiteux, sa chevelure retrouver ses boucles naturellement rousses (et moins longues), ses yeux quitter leur teinte abyssale pour retrouver ce vert chatoyant si humain... Bref, retrouver une apparence plus acceptable face à l’ensemble de la population.

Les bras de son client l’englobaient parfaitement, ses mains usées par le dur labeur manuel caressant les avant-bras frêles de la catin. Cette dernière ne put, d’ailleurs, s’empêcher de glousser aux propos de son compagnon, ce dernier ayant visiblement apprécié le partage de leur intimité sous leur forme la plus primaire. Oh il n’était pas le seul, elle devait bien l’admettre! Inclinant naturellement la tête sur le côté, la rouquine offrit un plein accès à son cou alors que l’ange y glissait quelques baisers qui furent, somme toute, tout sauf désagréables.

- Tu sais, au fond, c’était une première pour moi aussi, très cher! Souffla-t-elle en glissant ses doigts entre les siens. Je ne rappelle pas quand était la dernière fois où j’ai quitté l’apparence que je revêts actuellement, pour dire vrai... alors tu comprendras que je n’ai jamais osé la chose pendant mes rapports intimes... Tu m’as surprise, vraiment. De la bonne façon, je t’assure.

Il s’inclina vers l’arrière, histoire de s’adosser sur la paroi de porcelaine de la baignoire pour simplement relaxer. Jetant tout simplement un regard par-dessus son épaule pour aviser les traits plus paisibles de son partenaire d’intimité, Primerose admira ce dernier, quelques instants. Se sentant observé, l’ange porta ses prunelles vers sa compagne d’origine incendiaire et la beauté put y lire (enfin, selon son interprétation) une forme d’interrogation. Se demandait-il la raison pour laquelle elle le scrutait de la sorte? Mine de rien, le questionnement restait légitime.

- Je songeais simplement que ma vie serait nettement plus simple si la moitié de mes clients pouvaient être aussi gentils que tu l’es à mon égard... Balança-t-elle tout bonnement, en un haussement d’épaules, alors qu’elle procéda au savonnage de ses bras. Tu sais... Ça me surprend à chaque fois, cette propension que tu as à vouloir me faire sourire ou à simplement faire preuve de petites attentions à mon égard. Pourtant, tu connais mes ascendants et nous savons tous les deux que tes actions risquent de te coûter cher... principalement ce soir. Pourquoi, Kallatriel? Je ne peux m’empêcher de me demander : pourquoi perdre ton temps et tes ressources sur une catin de mauvaise fréquentation, comme moi? Tu es le genre d’homme qui mériterait d’avoir une chic fille dans sa vie, des mômes et tout ce qui va avec... Bref, ça m’échappe. Mais... merci?

Le sourire qu’elle lui balançait était étonnamment doux et sincère, surtout pour une femme comme Primerose. Elle qui n’était que séduction, vin et cynisme pouvait donc faire preuve de... douceur? C’était un peu étrange et ne collait pas trop à son profil du quotidien, mais elle n’y pouvait rien, en ce moment. Elle n’était pas complètement idiote : elle savait bien que l’emplumé avait risqué gros pour elle, ce soir. Si ça n’avait été de lui, elle aurait soit fini sa soirée complètement défigurée dans cette ruelle pourrie (et probablement violée, il ne fallait pas l’oublier) ou alors assassinée au nom du pseudo honneur divin. Alors, dans des circonstances comme celles-ci, la vipère considérait qu’elle pouvait faire plus que simplement faire preuve de corruption. Elle en avait envie et était touchée de l’intérêt sincère qu’il lui portait. Ça aussi, ce n’était pas monnaie courante.

- Non, je n’accepterai aucun paiement pour ce soir, rétorqua-t-elle machinalement, puisque, évidemment, l’ange souhaitait débourser pour ses services, comme il avait l’habitude de le faire. C’est cadeau de la maison. Non seulement m’as-tu sauvé la vie, mais tu as reçu une sacrée raclée simplement pour m’éviter le même sort... Et sans compter que tu m’accueilles, chez toi, comme ça, à bras ouverts et m’offres même un bain. Non, tu ne me dois rien, c’est plutôt le contraire, pour dire vrai. Pendant qu’on y est... puis-je pousser l’audace à te demander refuge pour la nuit? Je ne me sens pas d’attaque pour déambuler en pleine noirceur dans les rues de la ville... Je suis fatiguée... lasse...

La réponse ne se fit pas attendre : elle pouvait faire comme chez elle. Nouveau sourire sincère. Il n’y avait donc aucune limite à sa gentillesse? Troquant son expression de reconnaissance par des traits songeurs, la rouquine se redressa légèrement, puis s’agenouilla dans le fond du bain, face à son client si généreux. D’un geste suave, elle se lova contre lui, pressant sa poitrine nue contre son torse et jouait du doigt avec quelques mèches rebelles de l’ange qui lui faisait tant envie.

- Je suis peut-être lasse et fatiguée... Mais je me sens aussi soudainement très excitée... qu’allons-nous faire pour régler cet épineux problème? Minauda-t-elle alors que sa main libre glissait déjà sous l’eau vers l’entrejambe de son compagnon qui, d’ores et déjà, s’éveillait sous ce contact chaleureux. Puis-je susciter à nouveau ta bonne grâce pour me venir en aide? Me voilà en véritable désarroi... Que dis-je? En détresse libidineuse... C’est fâchant.

Elle se pencha vers l’avant et embrassa à nouveau cette gorge frissonnante qui lui était offerte sans la moindre résistance.

- Ma dette est grande et la nuit est encore jeune, souffla-t-elle contre la peau de son amant. J’ai bien l’intention de la rembourser jusqu’au bout... À moins que tu n’y voies un inconvénient? Autrement, laisse-toi faire mon mignon et tu ne regretteras pas...

Difficile de protester quand cette main agile effectuait déjà un mouvement de va-et-vient bien calculé.

Primerose ne supportait pas de récolter des dettes... Et la gentillesse de Kallatriel l’avait particulièrement touchée (au sens figuré!) ce soir, alors elle jugea bon de le remercier de la seule façon qu’elle savait le faire... en faisant offrande de son corps et de ses soins indécents. Elle ne le faisait pas pour l’argent, ni pour se coltiner quelconque avantage... elle en avait simplement envie. Et puis, cet angelot lui avait offert une partie de jambes en l’air inoubliable, alors elle était curieuse de voir jusqu’où tout ça pouvait aller.

Oh non... cette nuit n’était pas terminée... Et elle comptait en tirer profit jusqu’à ce que la fatigue soit intenable... Et qui sait, peut-être arriverait-il à lui soutirer un sourire franc à nouveau? Parce que ça aussi c’était inusité chez elle... Et si ses services sexuels n’étaient pas suffisants, alors elle comblerait la balance en usant de ses talents culinaires, au petit matin!

Fait inusité : elle faisait des crêpes à en faire damner plus d’un...

[FIN]