Si pour certains les festivités du jour de l’An étaient synonymes de réunions familiales, de feux d’artifices, de bonne nourriture et de champagne, pour d’autres, cela se résumait en une bête soirée dans un club dans le but de mettre un peu de piquant dans leur misérable vie. C’était un peu le cas de Primerose, laquelle n’avait aucunement l’intention de passer cette soirée dans un état pathétique en tête à tête avec elle-même. Après tout, passer les festivités toute seule était tellement déprimant... C’était sans nul doute l’inconvénient majeur d’avoir tout laissé derrière pour venir s’installer à Roanapur : elle n’avait ni famille, ni réels amis. Or, elle allait faire le maximum pour rendre cette journée un peu moins merdique et cela impliquait de faire la fête et de s’éclater au maximum, quitte à s’enfourner quelques cachets illégaux pour se griller les neurones.

Elle était installée au bar alors que la musique battait son plein dans ce club du Sins District, véritable tintamarre musical dont les vibrations exagérées lui tambourinaient la cage thoracique à l’instar d’un massage cardiaque non sollicité. Assise sur son tabouret, les jambes croisées, la belle détonnait par sa robe cocktail d’un rouge éclatant et d’un style vintage. Possédant une classe indéniable, elle n’avait rien à voir avec les autres catins grotesques qui arboraient leur poitrine ouvertement ou jouaient du fessier sur le bassin de leur partenaire à l’instar de chattes en chaleur. Non... Primerose usait d’une tactique complètement différente, laquelle avait su faire ses preuves par le passé. D’ailleurs, plusieurs hommes (et même quelques femmes) étaient venus l’aborder depuis son arrivée, mais elle se sentait d’une drôle d’humeur. Elle avait envie d’être sélective ce soir. Allez savoir... elle avait du mal à réellement savoir ce qu’elle désirait. D’ailleurs, la rouquine détestait lorsqu’elle était dans ce genre de mood.

Un jeune homme venait de faire son apparition, non loin d’elle. Si d’emblée cela n’avait rien d’exceptionnel, l’aura qu’il dégageait avait de quoi attiser sa curiosité. Tournant ses prunelles émeraudes en direction du nouveau venu, la prostituée le détailla sans réellement s’en rendre compte. Il était grand, au teint hâlé et à la chevelure presque immaculée. Ses traits étaient fins, réguliers, naturellement attirants alors qu’il passait commande auprès du barman. Sous ces vêtements de bon goût, on pouvait aisément deviner une stature imposante avec des muscles bien ciselés. Un beau gosse quoi. Le genre qui donnait assurément envie de ronronner à plus de la moitié des femmes présentes dans un périmètre de 250 mètres et moins. Enfin, un type digne de son intérêt du moment. Levant une main en direction du tenancier, la beauté se commanda un verre de vin effervescent, faute d’avoir suffisamment de fric sous la main pour jeter son dévolu sur du réel champagne tout au long de la soirée.

Dos droit, elle replaça ses bouclettes rousses à la volée alors que sa présence sembla attirer le bellâtre comme un aimant. Dans un mouvement fluide, il se glissa à ses côtés alors qu’elle lui jetait déjà un regard en coin, chargé d’intérêt. Il la salua, de manière si naturelle alors que, d’emblée, il lui offrait un verre. Flûte de vin effervescent en main, la démone étira la commissure de ses lèvres carmines en un sourire charmé alors qu’elle désignait sa consommation à peine entamée.

- J’ai déjà ce qu’il me faut pour le moment, mais je retiens votre proposition pour la suite. Puisque suite il y aura, bien évidemment...

Parlait-elle de sa consommation alcoolisée ou de toute autre forme de consommation? Elle se garderait bien de le préciser. L’aura du jeune homme devant elle était d’autant plus électrisante qu’il était maintenant à portée de main. Elle connaissait ce genre d’excitation presque palpable, cette tension typique. La puissance de ce que dégageait son mystérieux interlocuteur ne mentait pas non plus : il n’est pas humain d’origine. Si la teinte immaculée de sa chevelure laissait entendre à des antécédents angéliques, quelque chose lui disait qu’il s’agissait plutôt du contraire. Les démons savaient se reconnaître entre eux, du moins, l’avait-elle toujours cru.

- Toutes ces femmes qui se trémoussent et vous regardent, et pourtant, c’est sur moi que votre intérêt se pose, fit-elle en portant sa flûte à ses lèvres tout en détaillant son vis-à-vis. C’est intéressant. Toutefois, je constate que vous n’avez rien en main pour trinquer avec moi. C’est inacceptable, surtout en cette période de festivités! Alors vous permettez que je vous offre ce premier verre malgré tout? Celui qui vous chante.

Levant une main vers le barman, la rouquine fit signe à ce dernier, lequel s’empressa de venir la voir. Ils se connaissaient bien tous les deux, vu la fréquence à laquelle Primerose fréquentait ce club. Rien de sexuel, ils avaient simplement fraternisé depuis le temps. Laissant son compagnon choisir lui-même ce qu’il préférait, la démone prit une autre gorgée alcoolisée tout en détaillant à nouveau son compagnon. Il faisait réellement son effet à plusieurs femmes autour de lui, puisque certaines lui jetaient des œillades presque insistantes depuis la piste de danse. Bon après, ces dernières s’étaient assurément éclatées à grands coups d’ecstasy, donc il n’y avait rien d’étonnant dans leur comportement minaudant.

Une fois qu’il fut servi, la démone esquissa un sourire et leva sa flûte, histoire de trinquer avec lui. Leurs verres tintèrent et la démone porta le tout à ses lèvres à nouveau, comme le voulait la coutume.

- Je m’appelle Primerose, fit-elle en guise de présentation. Enchantée. Vous ne traînez pas souvent dans le coin, je me trompe? Ou alors je n’ai jamais eu la chance de croiser votre route, puisque j’ai une excellente mémoire des visages. Je suis persuadée que le vôtre est d’ailleurs très difficile à oublier..

Parce qu’elle était une régulière et c’était peu dire, elle connaissait presque tous les employés de l’endroit. Il fallait également dire que son nom était de plus en plus connu dans le quartier chaud...

Ah… Je remarquais seulement après lui avoir demandé qu’elle avait déjà une consommation à la main. Un rictus amusé et joueur arriva sur mes lèvres. Bien sûr qu’il y aura une suite ; je m’en voudrais de laisser passer ma chance ce soir. Bien sûr, j’ai reconnu assez vite qu’elle sentait comme moi : l’odeur d’une démone. Intéressant, je n’ai jamais mis de démon dans mon lit jusqu’à présent. Je passe plutôt mon temps auprès des humaines qui ne résistent souvent pas à mon charme. Entre démons, suivant nos facultés, c’est plus compliqué on va dire. Ha chérie, pas besoin de me dire qu’il y a je ne sais combien de filles derrière moi qui sont en train de me reluquer. C’en est parfois presque effrayant, tant elles me regardent avec insistance, espérant que je les dévore. Pourtant, je n’ai pas cette compétence spéciale. Et puis, je ne suis attirée que par la demoiselle avec qui je parle. Je m’en fiche des autres, elles ne comptent pas.

« Je suis certain que ces femmes ne sont pas de votre calibre, chère… dé-mo-ne. »

Venant lui susurrer ce dernier mot à l’oreille pour que personne ne nous entende. J’ai beau être charmé par cette demoiselle, j’ai bien reconnu son odeur si caractéristique de notre race. Elle m’offre le premier verre, c’est gentil à elle.

« En temps normal, je n’accepterais pas qu’une femme me paie un verre mais je veux bien faire une exception pour vous. »

Je détourne mon regard un instant pour commander une bière. Pour l’instant, commençons sagement. Les fêtes hein… Elles ne veulent plus vraiment dire quoique ce soit pour ma part mais bon. Je récupérais ensuite ma bière, trinquant avec elle ensuite. Je pris une gorgée et elle déclina son identité : Primerose. Intéressant et surprenant je dirais ; n’a-t-elle pas de nom de famille ? Enfin, peu importe après tout. Je ne suis pas non plus obligé de lui donner mon nom complet.

« Enchanté Primerose, je m’appelle Lawrence. En effet, je ne traine pas trop dans ce coin-là habituellement. J’ai eu envie de changer un peu d’air disons et je ne regrette pas de l’avoir fait puisque je suis tombée sur une beauté comme vous. »

Un petit clin d’œil avant de finir ma bière un peu d’une traite. Tournée pour moi cette fois-ci, je me commande un whisky et la regarde toujours aussi subjugué par sa beauté.

« Que prendrez-vous pour un deuxième round ? C’est moi qui offre, prenez ce que vous voulez. »

Non pas que je suis riche mais j’ai quand même pas mal d’argent de côté.

« Et sinon, que faites-vous dans la vie Primerose ? Enfin, que fait une jolie demoiselle dans un trou à rat comme ce quartier mal famé, par une douce soirée comme celle d’aujourd’hui ? »

J’ai tout de même envie d’en savoir plus sur cette femme avant que l’on ne passe aux choses un peu plus sérieuses. Pour ne pas baver devant ses beaux yeux et n’attendre qu’une seule chose, le semblant de réflexion encore active dans ma conscience me dictait de lui faire la conversation pour faire durer un peu la chose. Mais l’attraction est de plus en plus forte et je crains de ne savoir pas me tenir davantage. Son odeur est tellement enivrante…

Lawrence. Elle ne l’oublierait pas. Avec une gueule comme celle-là, elle se doutait bien que la plupart des femmes qui croisaient sa route ne pouvaient faire autrement que de se remémorer son nom. Sourire enjôleur aux lèvres, le beau gosse déclara avoir sélectionné cet endroit afin d’explorer de nouvelles avenues. Si d’emblée il préférait peut-être d’autres boîtes de nuit, celle où traînait Primerose aurait de quoi ajouter un brin de nouveauté. Bien évidemment, cette déclaration fut rapidement suivie par un compliment, le bellâtre à la tête immaculée ayant vite compris que la catin appréciait les éloges.

Et hop, un petit clin d'œil et la bière fut terminée en une seule rasade. Gloussant et jouant le jeu, Prime fit de même avec sa consommation - elle qui, d’ordinaire, préférait déguster que d’avaler le tout d’un trait - puis déposa son verre vide sur la surface polie du comptoir. Déjà, Lawrence lui proposa un deuxième round précisant que ce dernier serait à ses frais. Gentleman, va! En plus d’être beau, il était poli, visiblement! Songeuse, l’Aldagoon femelle décida de monter l’intensité de sa consommation alcoolisée d’un cran. Il lui fallait un truc plus fort, plus chaleureux… Puisque la température montait vraisemblablement d’un cran, ne serait-ce que par l’intensité de leur aura démoniaque.

- Un bourbon, je vous prie, fit-elle à l’adresse du barman, profitant de cette offre généreuse de la part de Lawrence pour se payer un truc qui lui rappelait son pays natal. Woodford Reserve ou Knob Creek, idéalement.

Alors que son compatriote démoniaque se commandait également un whisky, la belle eut un sourire.

- Vous avez du goût, fit-elle avec une lueur espiègle dans le regard. Une qualité que j’apprécie chez un homme. Remarquez, de vous voir en ma compagnie, il est évident que vous appréciez les bonnes choses.

Une belle façon de le taquiner ET de flatter son propre ego… lequel était démesuré, d’ailleurs.

Et voilà que LA question fut posée. Il s'interrogeait sur son mode de vie, ou du moins, sur son emploi du temps. Se doutait-il de ses occupations actuelles? Possible. En avait-elle honte? Aucunement. Seulement, si elle désirait empocher le fric de ce type, elle devait jouer finement son jeu. Une introduction telle que Salut je suis une pute! risquait de ne pas être appréciée.

Sourire amusé accroché aux lèvres, la belle jeta un regard en coin en direction du bellâtre à la peau délicieusement hâlée, puis prit une gorgée de son bourbon alors qu’elle réfléchissait à sa réponse. Déposant son verre doucement sur la surface du comptoir, elle gloussa légèrement avant de faire face à son compagnon.

- Je suis agente de loisirs et de contrôle de la qualité. Entre autres, je m’assure du bien-être des gens et m’assure que leurs critères de satisfaction soient entièrement rencontrés ou presque, lors du service rendu. Puisque les frais initiaux en soi peuvent être onéreux, il va de soi que la qualité du service à la clientèle doit friser la perfection. Nous sommes d’accord, n’est-ce pas? Nous payons pour un service, alors il faut minimalement en avoir… pour notre argent… Portant à nouveau le bourbon à ses lèvres, la beauté détailla à nouveau son vis-à-vis. Se foutait-elle de sa gueule? À moitié. Elle ne mentait pas! Elle déguisait simplement la vérité pour la rendre davantage fastueuse. Il suffisait de lire entre les lignes. Quant à mon champ d’expertise… Je me spécialise dans le contact humain.

Le bellâtre se délectait de sa propre consommation et Primerose en profita pour admirer son corps musclé évident sous cette tenue de bon goût. Peu importe qu’il soit réellement intéressé ou pas, la prostituée s’imaginait sans mal passer la nuit à ses côtés. Une grande proportion de sa clientèle n’était en rien aussi belle et attrayante que lui! La majorité de ses clients étaient des hommes esseulés - riches ou pas - ayant bien souvent trop de stress accumulé et bien peu d’intérêt pour les besoins des femmes telles que Primerose. Beaucoup d’entre eux se contentaient d’une simple fellation ou d’une passe dans une ruelle, uniquement dans le but d'évacuer la tension du quotidien. Certains étaient mariés et malheureux (ou heureux, tiens), d’autres étaient des célibataires endurcis. Lorsque son regard émeraude se posait sur Lawrence, elle y voyait un type à la gueule très agréable et doté d’une nonchalance qui laissait simplement entendre à une envie de s’amuser. Exactement ce dont elle avait besoin ce soir.

Et puis, soyons honnêtes… Elle était persuadée qu’il savait utiliser ses doigts avec la délicatesse d’un pianiste. Un véritable artiste en soi. Elle y trouverait son compte, pour peu qu’il aimât partager son propre plaisir. Ou alors, elle se fourvoyait et cette passe serait d’une déception prodigieuse… Comme beaucoup d’autres.

- Et vous, Lawrence? Fit-elle, appuyant verbalement sur ce prénom, puisqu’elle en appréciait la sonorité. Ça changeait de Gaston, Bob, Roger ou Gédéon. Vous œuvrez dans quel domaine? À voir votre stature, je me doute bien que vous ne bossez pas dans un bureau d’assurances… Ou alors je me suis littéralement fourvoyée, ce qui n’est pas coutume. Elle lui balança un simple clin d'œil chargé de complicité. Jusqu’à présent, appréciez-vous votre expérience dans ce bar? Puisque vous n’avez pas l’habitude des lieux… Il serait intéressant de savoir quel est votre niveau d’appréciation et ce qui pourrait rendre l’expérience… plus agréable. Vous comprenez, c’est une déformation professionnelle chez moi. J’ai bien du mal à ne pas songer au boulot…

Elle sentait son corps en ébullition. Ça aussi ce n’était pas coutume, elle qui avait généralement un excellent contrôle de ses pulsions. Or, la proximité d’un autre démon comme celui-là ne se présentait pas souvent. Peut-être que leur aura incendiaire faisait en sorte que leurs esprits étaient plus aisés échauffés qu’à l’habitude? Elle n’en savait rien... Elle avait davantage l’habitude de côtoyer des humains et (étonnamment) des anges, puisque ces derniers étaient si délicieux à pervertir... Or, il fallait qu’elle se secoue un peu et garde le contrôle sur la situation. Malgré tout, au même moment, elle ne put s’empêcher de jeter une œillade à son compagnon, laquelle était sans équivoque : s’il désirait la suivre, il aurait droit à un moment de pure folie.

Elle devait garder le contrôle! LE CONTRÔLE, PRIME.

- Ou alors vous préférez la présence de ces minettes? Balança-t-elle tout bonnement en indiquant d’un mouvement du menton la présence de trois femmes carrément ivres qui détaillaient le bellâtre depuis la table à côté. À voir leur tronche, dans moins de 5 minutes elles vous aborderont pour vous faire une offre difficile à refuser. Croyez-moi, je connais ces regards. Un trois pour un assuré!

Elle gloussa. Elles n’avaient aucune chance.