Te voici arrêtée devant la porte d’entrée de ton minuscule appartement. Il est déjà là n’est-ce pas ? Tu le sens, tu le sais… Tu le connais par cœur. Tu inspires profondément afin d’agripper à pleine mains le courage qui menaçait de s’enfuir puis…Tu franchis le seuil.
Lorsque le battant s’écarte complètement, ton regard se heurte à deux perles d’or étincelantes. Que son regard est dur… Tu refermes la porte derrière toi, lui faisant face et le regard qu’il coule sur toi suffit à te hérisser l’échine. Lorsque ses prunelles s’arrêtent un instant sur le faux ventre que tu as conçu, tu décèles une vague de dégoût qui te fend littéralement le cœur. Tu déglutis, ta langue humectant nerveusement tes lèvres tandis que tu commences à te déchausser.

-Tu souhaitais que l’on parle Amenadiel ?

Pas un son ne sort de sa bouche mais tu ressens sans peine la colère tout juste contenue qui bouillonne sous son derme. Tu contournes ton lit afin de te glisser dans ta salle de bain étriquée, retirant ton faux ventre ainsi que son attache de fortune. Tu en profites pour te changer et enfiler quelque chose d’un peu plus relax, songeant un peu naïvement que si tu ne portes plus la tenue que tu avais mise pour Nathan, cela apaisera un peu le cœur de ton ami. Tu optes pour un simple t-shirt blanc légèrement trop large pour toi et qui te parvient jusqu’à mi-cuisses. A cela s’ajoute un mini short en jeans tout ce qu’il y a de plus classique. Tu observes ton reflet comme en quête d’une solution magique puis, enfin, sa voix se fraie un chemin jusqu’à tes oreilles :

-Qu’est-ce qui t’a pris ?

Tu l’entends ? Ce torrent de fureur qui menace d’exploser le barrage de sa contenance ? Amenadiel perd rarement son calme pourtant… En ce qui te concerne, il a bien du mal à réguler ses émotions.

-De quoi parles-tu ?

Demandes-tu innocemment tout en sortant de la salle d’eau.

-Ne joue pas les ignorantes ! Je lis en toi plus facilement que dans l’esprit d’un angelot de cinq ans !

Cette phrase vient égratigner ton cœur délicat. Ton regard d’argent se rétrécit doucement sous la peine.

-Tu m’espionnes maintenant ?

Ses traits se fendent d’un sourire hautain.

-Tss je n’en ai pas besoin ! Tu ne fermes jamais ta conscience.

Il crache ses mots comme une insulte. Ton cœur augmente sa cadence, rongé par la tristesse et un voile de colère qui commence peu à peu à se faire sentir.

-Je t’avais dit de l’oublier et toi tu fais quoi ?! Tu…l’embrasses ?!

Les derniers mots sont crachés, comme si le simple fait d’en parler en revêtait un aspect innommable. Amenadiel se lève subitement de son assise, enchainant les cents pas dans ta minuscule demeure.

-ça…ça n’est pas important…
-Pour LUI mais pas pour TOI ! Je suis dans ton cœur je sais ce que tu ressens !

Tes lèvres s’ouvrent mais aucune parole ne parvient à s’en échapper et tes yeux s’abaissent tristement sur le sol.

-J’avais presque oublié à quel point tu peux me faire me sentir comme une moins que rien parfois…

La douleur que tu ressens suinte alors de toute ta personne, se frayant un chemin jusqu’à sa propre conscience, le faisant s’arrêter net l’espace d’un instant. Il se vante de connaître tes émotions ? Qu’il les vive toutes dans ce cas ! Et pas seulement celles qui l’arrangent ! Tu reportes sur lui un regard accusateur, plongeant dans ces océans d’ambre alors que ses traits trahissent la difficulté qu’il a de gérer l’émotion que lui-même génère en toi.

-Ce n’est pas la première fois que je… que je m’attache à un homme et tu n’as jamais rien dit ! Alors pourquoi est-ce que maintenant tu… ?!

Tu serres les poings et malgré toi une larme quitte le rivage de ton iris droite pour venir s’échouer sur le sable de ton visage, roulant désespérément jusqu’à ta mâchoire de laquelle elle choisit de se jeter.

-Parce que s’il…

S’il venait à réaliser la femme extraordinaire que tu es, il pourrait t’aimer. Mais ces mots-là, il ne te les dira jamais Evangéline.
Depuis quand Amenadiel est-il capable de tant de rejet et de méchanceté ? L’a-t-il toujours été ?

-Tu ne le connais même pas.
-Toi non plus !

Une seconde larme roule et choit lourdement. Il a raison, tu ne le connais peut-être pas par cœur mais suffisamment pour être attirée par lui. Que devrais-tu citer ? Son honnêteté ? Sa loyauté ? Cette tendresse dont il peut être capable si on lui en offre l’opportunité ? Sa bonté authentique ? Sa solidité ? Son sens du devoir ? Tu en as vu si peu et tant à la fois. Ta sensibilité t’a toujours permise de capturer l’essence même des gens au travers de gestes du quotidien. Ainsi peux-tu presque à chaque fois, déterminer la véritable nature de quelqu’un. Bonne ou mauvaise. Ange ou Démon… Humain… Ce ne sont pas les grandes démonstrations qui révèlent la véritable nature de tout à chacun mais bel et bien les petites choses, celles que l’on fait sans les planifier, sans les calculer, celle que l’on fait avec authenticité. Ainsi celui qui hurle de rage envers le monde et se gorge de violence n’est pas complètement mauvais ni perdu s’il s’arrête pour sauver une souris de la noyade.

Vous vous toisez durant de longues minutes sans émettre le moindre son. Tu cherches en lui une faille, quelque chose qui montrerait qu’il prend en compte ne serait-ce qu’un peu de ce que tu penses et ressens… En vain. Amenadiel se montre si dur… Comme si personne n’avait le droit de faire le moindre faux pas. Tes mains relâchent alors la tension qu’elles gardaient emprisonnée et tu t’avances doucement dans sa direction avant de venir saisir son visage tout en délicatesse.

-Ama…S’il te plaît ne fais pas ça. Nathan et moi ça n’ira probablement pas au-delà de ce simple baiser. Je ne pense pas être le genre de femme qu’il désire…

Ses sourcils se froncent.

-Alors pourquoi persister à le voir ?

Tu hausses les épaules, relâchant son faciès avant de t’armer d’un sourire doux et triste à la fois.

-Honnêtement je n’en ai aucune idée. J’aime passer du temps avec lui. J’aime sa présence.

Je ne comprends pas.. Je ne veux pas comprendre. Mais puisque tu choisis de rester sourdes à mes conseils, je vais faire en sorte que tout ceci n’aille effectivement pas plus loin que ce « simple baiser ». Ces paroles-là aussi, tu ne les entendras pas Eva.
Un soupir exaspéré quitte sa bouche et d’un pas décidé, Amenadiel fait volteface pour se diriger vers la sortie.

-Ou est-ce que tu vas ?

Demandes-tu la voix criante d’inquiétude.

L’ange jette un regard par-dessus son épaule et te répond simplement :

-J’ai quelque chose d’important à faire.

La porte se referme, te laissant là, noyée d’incompréhension, secouée par une tristesse que tu peines à gérer et voilà que les larmes se succèdent sur ton visage gracieux.